tes tics, tes manies. ☾ Diego Mendoza, gamin de 18 ans, immigré mexicain, débarque aux Etats-Unis avec la fervente envie de réaliser son rêve américain. Naïf. Ada Elbaz, également fille d'immigrés, juifs israéliens pour sa part, tente des études de droit à Phoenix. Quelle était la probabilité que ces deux-là se tombent dessus ? Aucune. Et pourtant. Ils se sont bel et bien tombés dessus. Plutôt deux fois qu'une, si vous voyez ce que j'veux dire. Ada, elle aimait l'côté rebelle, mauvais genre, de son nouveau petit copain. Lui, Diego, il adorait se sentir important auprès de sa future avocate. Tout s'passait en apparence bien jusqu'à ce fameux jour de l'an, où ça a dérapé. Trop d'alcool, trop de fumées, pas assez protégés, et m'voilà en route pour une vie qui n'voulait pas d'moi. Vous vous doutez bien que grand père Elbaz sauter de joie à l'idée de savoir sa fille enfantée par un mexicain... Tu avortes, ou tu pars. Et elle est partie. C'est comme ça que j'me retrouve avec un nom mexicain et un prénom aux consonances juives. ☾ Tout est bien qui finit bien ? Petit Yaël voit le jour loin d'une famille intolérante, avec deux parents qui s'aiment à la Roméo et Juliette. Non, nous ne sommes pas dans la tête de Shakespeare, mais dans la vraie vie. Et la vraie vie, c'est ma mère qui a fait croire à mon père pendant neuf mois qu'elle voulait c'gosse, qu'elle quittait sa famille pour construire un foyer avec lui et qu'il vivrait heureux. Foutaises. Elle a attendu les neuf mois, elle m'a mis au monde, et elle a sauté sur la première occasion pour disparaître. Mais elle a laissé un mot... Trop cool, non ? Elle ne pouvait pas assumer cet enfant illégitime, tirer un trait sur sa famille et son avenir. Mais elle ne voulait pas tuer l'gamin. Alors elle a attendu. Et j'suis né. Dans ce monde de merde. J'devrais presque la remercier, vous croyez pas ? ☾ C'est comme ça qu'on se retrouve, à 19 ans, sans papier, sans boulot, sans argent, sans femme, sans avenir, mais avec un gosse ! Il a tout gagné ce pauvre Diego... Il partait mal, c'est vrai, mais il s'est battu. Du moins, il a essayé. Il a fait du mieux qu'il a pu, lui. Il est resté, au moins. Il a trouvé du boulot grâce au patron d'un garage automobile qui le payait au black, une misère, mais qui lui permettait de laisser son camping-car au fond du parking. Et c'est là que j'ai commencé ma vie. Sur la banquette d'une maison ambulante, dans les reflux d'essences et d'alcool, que consommaient autant mon père que les clients de cet endroit minable. ☾ Comment grandit et se construit un gosse avec un tel début de vie ? Et bien, il galère. Mais il y arrive, lui aussi. A sa manière, mais il y arrive. J'ai jamais joué avec les gosses d'mon âge pour la simple et bonne raison que dans mon entourage, il n'y en avait pas, et qu'à l'école, avec mes fringues déchirés et mon père alcoolique, j'faisais peur. J'vous parle là de mes 5 premières années. 6, peut-être. Coup de maturité inouïe dans l'pif pour un gamin de cet âge là. Forcée, mais inouïe. J'étais un peu bizarre, un peu torturé, j'criais sans qu'on comprenne pourquoi, j'frappais sur les gosses, j'faisais des dessins uniquement en noir, j'décrochais pas un mot. Mais j'me battais. J'essayais de m'en sortir. ☾ Mais ça, c'était jusqu'à cette fameuse année. Jusqu'à cette fameuse rencontre. J'devais avoir six années à mon compteur si j'dis pas de connerie, quand je suis tombé sur lui. Une âme sœur. Un alter-ego. Un jumeau oublié par la nature. Une sorte de sauveur, que j'allais par la suite et involontairement faire flancher... Mais nous n'en sommes pas là. Pour l'instant, c'est juste un sauveur. Ezio. Ezio Vincenzo. On pourrait pas s'planter sur ses origines à lui ! Qui aurait cru qu'le p'tit italien allait devenir l'associé du doublement immigré israélo-mexicain ? Surement personne. Et pourtant. Il m'a sorti de la solitude, il a soigné mes démences, mes crises, mes sauts d'humeur. Comment ? Aucune idée. Il n'en sait surement rien. Je n'en sais pas plus. On n'est pas conscient de toutes ses choses à six ans. Mais il l'a fait. Il a été là. Il n'a pas flippé. Il est venu à ma rencontre et depuis, il ne m'a plus jamais lâché. Voilà, c'est Ezio. ☾ Mais ma vie ne s'est pas améliorée en tous points, faut pas rêver non plus ! J'devenais chiant, avec l'âge. Vraiment chiant. Vraiment envahissant, turbulent, plus le genre de gamin que tu peux mettre dans un camping-car et qui va la fermer toute la soirée. J'avais besoin de bouger. De courir. De faire des conneries. Et forcément, pour le patron qui acceptait déjà un squatteur immigré et bourré sur son terrain, c'était le coup de trop. Mon père a perdu son job. Et son terrain de squat par la même occasion. Coup double, merci l'gosse ! Autant vous dire que je n'ai pas passé un joyeux quart d'heure... Ni un joyeux mois. Ni une joyeuse année. Les coups volaient au moins aussi souvent que les bouteilles vides trainaient au sol, c'est pour dire... On a fini par squatter un camp de gens du voyage, qui s'étaient appropriés une partie du désert pour y vivre. Mon père y faisait les boulots d'entretien, de réparation, et un peu tout ce qui passait sous la main pour avoir le droit de rester et gagner quelques sous. Bon, c'était déjà ça. Au moins, j'pouvais continuer d'aller à l'école pour retrouver mon acolyte. Je m'en satisfaisais, à cet âge là. ☾ Mais j'ai grandi. Comme tout le monde, j'ai grandi. Et comme tout gamin qui grandit dans la rue, j'ai fait des conneries. J'ai expérimenté. J'ai testé. J'ai fugué. J'ai fumé. J'ai volé. J'ai dealé. Je vous rassure pour les plus inquiets d'entre vous, je parle maintenant d'un âge bien plus avancé dans ma petite vie : l'adolescence. J'y ai découvert des moyens en tout genre, plus ou moins légaux, pour m'amuser et pourquoi pas m'faire aussi quelques ronds. J'avais d'autres envies, d'autres besoins. En particulier le besoin de braver l'interdit, le besoin de sortir les crocs, le besoin de montrer qui j'étais. Crise existentielle de l'ado quoi, rien d'extraordinaire. Mais avec un père comme le mien et un contexte tel que celui-ci, autant vous dire que j'ai connu très rapidement les services de police et les combines pour leur échapper comme ma poche.
 

☾ Et qu'est-ce qu'il devient ce petit gamin sans espoir et sans avenir à l'heure actuelle ? Et bien, il a vingt-quatre ans, l'allure d'un vieil ado de dix-huit, se balade dans les rues de sa ville en jean troué, débardeur trop grand, tatouages exhibés, tout ça sur skate qu'il ne lâche jamais. Ca fait rêver hein ? J'bosse pour mon père dans une station service qu'il a fini par réussir à racheter. Avec quel argent ? Si vous l'savez un jour, merci de me tenir au courant... Je n'ai jamais eu de réponses claires à cette question, et du coup j'en ai toujours conclu que ça n'était pas de l'argent très propre. Et alors ? Il a enfin un vrai boulot, un toit sous lequel vivre, et aux dernières nouvelles, il finit torché uniquement trois soirs par semaine. J'apprécie les progrès. Pour ma part, et ce depuis quelques temps maintenant, j'ai emménagé en coloc avec Ezio, que j'n'ai pas lâché depuis l'époque du bac à sables/ Y'a trois autres squatteurs qui occupent les chambres voisines, ils ont plutôt des bonnes gueules - et des bons culs pour certaines -, ils font pas chier et m'empêchent pas de vivre. Donc je les fais pas chier. Point. A la ligne.  ☾ Qu'est-devenu le duo italo-israélo-mexicain, en plus de vivre ensemble ? On a évolué ensemble. On a grandi ensemble. On a fait des conneries ensemble. On a passé des nuits au poste ensemble. Bref, je ne vous fais pas un dessin, si ? Il n'y a que notre lit qu'on n'partage pas avec Ezio. Mais je l'ai fait plongé. Dans mon monde. Dans ma démence. Dans mon sombre univers. Il avait un bel avenir en ligne de mire ce gosse, mais il est tombé sur moi. Il ne semble pas s'en porter si mal en même temps... Mais on n'en parle. Je le sais, il le sait, tout le monde le sait. Je l'ai fait sombré. Et c'est comme ça. Reste plus qu'à vivre avec.  ☾ Et avec les autres espèces du genre humain, comment ça se passe ? Ca ne se passe pas. Parce que je ne suis toujours pas disposé à être sociable avec d'autres individus qu'Ezio. Parce qu'ils n'en valent pas la peine. Parce que la plupart des mecs sont bien trop cons. Parce que la plupart des filles sont bien trop idiotes. Je les cotoie, oui. Je passe des soirées avec, oui. Je fume, je bois, j'me drogue à l'occasion, je les entraine eux aussi avec moi, mais aucun d'eux n'a de l'importance. Et aucune de celles qui passent dans mes draps ne comptent. C'est toutes les mêmes. Elles vous font croire à cette connerie d'amour éternel que ce connard de Shakespeare nous raconte, pour s'barrer ensuite en laissant le gamin devant la porte... Comment voulez-vous que j'crois à l'amour et à toutes ces histoires quand je n'ai que pour seuls exemples maternels ma génitrice qui s'est faite la malle et les putes que mon père faisait passer dans son lit en m'demandant d'aller jouer dehors ? Impossible. J'y crois pas. C'est des illusions qu'on nous vend et je refuse d'être un d'ses moutons qui plongent la tête la première dedans. ☾ Bon, ok, je vous dis toute la vérité. Vous êtes dans ma tête de toute façon, ça n'peut pas aller bien loin. Y'en a bien une, qui est différente. Mais elle a une bonne excuse : elle partage le sang d'Ezio. C'est d'la bonne graine. Andréa. Sa sœur. La petite sœur d'Ezio. La prunelle de ses yeux. La vie qui compte surement le plus sur cette Terre pour lui. La seule femme sur laquelle je n'avais pas le droit de poser les yeux et encore moins les mains... Et pourtant. A croire que même avec mon alter-ego, je ne peux pas m'empêcher d'être un con qui veut franchir les interdits. Avec elle, c'est différent. Elle est différente. Mais ça aussi, je ne l'avouerai jamais. Elle m'a cherché, elle m'a provoqué, j'ai résisté, puis j'ai craqué. L'attraction était trop forte, l'envie intenable, le désir et l'adrénaline bien trop présents pour rester dans les rangs. Et ce n'est pas arrivé qu'une fois. Et ça arrive encore. Et j'aime ça. J'peux plus m'regarder dans une glace après avoir croiser l'italien, mais j'aime trop ça. Ce jeu interdit, avec cette fille interdite, me procure des sensations qui n'avaient encore jamais parcouru mon p'tit corps de lâche tatoué. Jusqu'où cela va-t-il allé ? Je n'en ai pas la moindre idée et c'est bien mieux ainsi.  ☾ Parlons de choses un peu plus futiles maintenant, non ? Vous devez en avoir marre de lire mes déboires de dépressif. D'autant plus que justement, je suis loin d'être dépressif ! Vu de l'extérieur, j'suis un mec souriant - un sourire arrogant et provocateur, vous savez -, qui profite de la vie - en faisant chier celle des autres -, et qui vit sans se soucier du lendemain. Je suis quelqu'un de libre, d'épicurien comme dirait les plus littéraires d'entre vous, ou d'inconscient pour les plus terre à terre. Quoi qu'il en soit, quoi que vous en pensiez, je n'ai pas d'impératifs, pas non plus de projets, encore moins de rêves fous à accomplir. J'veux arriver à demain entier, je veux en profiter comme si cette journée était la dernière. Sans pour autant avoir des pensées suicidaires, attention ! J'suis vraiment un mec joyeux, j'vous jure. Passez un moment avec moi et vous verrez. J'vous oublierai surement dès la seconde d'après, mais vous aurez passé un bon moment. ☾ Ok, j'me livre. On en est au 13ème point d'une liste de 15, faut bien que j'm'ouvre un peu. L'art. L'art, c'est un truc qui m'plait. La musique, la photo, la peinture, le dessin. Ca m'plait. Je ne le dis pas. Je ne le crie pas sur tous les toits. Très peu de gens le savent. Mais ça m'plait. Tout simplement parce que quand on est un gamin sans un rond, la seule chose qui nous reste c'est notre imagination. Notre imagination pour écrire des chansons. Notre imagination pour dessiner sur les murs. Notre imagination pour taguer sur les murs, plus tard. Mon premier délit ? J'ai volé l'appareil photo d'une gosse de riche dans mon quartier pour photographier le désert. J'étais gosse. Encore presque innocent. Tellement innocent que j'avais volé un appareil photo jetable à l'époque, que je n'ai jamais pu faire développer... Allez-y, riez ! Toujours est-il que j'ai ce petit échappatoire qui m'rend humain pour certains, mais qui me permet surtout de tenir le coup. Vous croiserez surement de tags sur les murs d'la ville signés d'un Leay, à peine lisible. Leay. Yaël, à l'envers. ☾ Comme vous vous en doutez surement, au vue de c'que je viens de vous raconter de ma situation financière, je n'ai jamais voyagé. Ironique pour un gamin qui a grandi en camping-car non ? Et pourtant, je ne suis jamais sorti de cette zone aride et sèche du fin fond des Etats-Unis. Est-ce que j'en rêve ? Est-ce que j'veux voir les chutes du Niagara, le Kilimanjaro et le Machu Pichu ? Non. Pourquoi s'créer des illusions qui ne sont pas à notre hauteur. Mais je voudrais bouger. Une fois. Juste une fois. Pour la trouver. Pour la retrouver. Ma mère. Pour lui cracher ma haine à la gueule, pour lui montrer l'homme que j'suis devenu. Pour lui montrer que j'suis devenu quelque chose. Pour hurler. Pour crier. Pour déballer tout c'que j'lui écrivais sur des feuilles déchirées quand mon père s'tapait la quinzième femme du mois. Ou pour m'effondrer. Je ne sais pas. C'est la seule personne devant laquelle je ne sais pas comment je réagirai. Et je voudrais savoir. Tellement. ☾ J'aime la cuisine pimentée, les tatouages débiles, les couchers d'soleil vus depuis le haut d'une déchetterie, le sirop de fraise, et les chiens errants. J'déteste les tomates, j'suis intolérant au lactose, j'supporte pas les sports collectifs, encore moins de les regarder à la télé, j'suis une brêle en informatique. J'peux boire une dizaine de café par jour, au moins autant de bières, et fumer autant de clopes - pour les p'tites journées -. J'regarde des dessins animés en fumant mes joints, j'ai pas acheté de fringues depuis six mois et... j'aime le jaune. Voilà, c'est bon ? Vous vous sentez en possession de suffisamment de détails débiles pour crier au monde entier que vous m'connaissez ? Hm, si vous saviez...