[ONE]C'est toi qui a fermé la porte derrière ton père la dernière fois que tu l'as vu, une porte qu'il n'a jamais rouverte. Depuis, chaque fois que tu fermes une porte, tu vérifie plusieurs fois que personne ne se trouve derrière avant d'enfin t'autoriser à la fermer pour de bon. Parce que toi Astrea, tu veux laisser personne derrière toi. [TWO] Tu ne bois pas d'alcool. T'as vu les ravages qu'il a fait sur la carcasse de ta mère alors t'as décidé de t'en passer, ad vitam aeternam. [THREE] Tu vis avec la peur au ventre, celle d'être comme elle, ta mère. Tu guettes le moindre signe précurseur de la maladie au point parfois d'avoir l'impression de devenir dingue, ou de l'être déjà. Borderline [FOUR]Ta drogue ce sont les mots, ceux que l'on couche sur papier, qu'on se murmure à l'oreille, qu'on se jette à la figure, qu'on ne dit qu'à moitié. Tu les aimes bien agencés, remplis de sens et parfois de sous-entendus. Ton compte instagram en est rempli, de mots. Les tiens, ceux des autres. Tu lis la poésie comme certains lisent la Bible, avec passion. Tu n'as pas celle du Christ mais celle de Sylvia Plath qui a toute ton adoration. Ton poème favoris est justement l'un des siens : Mad Girl's Love Song. I think I made you up inside my head C'est un peu ce que t'as l'impression de vivre depuis que tu l'as rencontré, lui. [FIVE] Même si tu bois ton café noir, pur, tu le remue toujours avec une cuillère avant de l'avaler. Une manie que tu as développée en imitant ta mère, qui elle prend du sucre dans son café[SIX] Tu grimaces inconsciemment chaque fois que tu es concentrée sur quelque chose. Lèvres en avant, sourcils froncés. Comme si ton visage exprimait toute la complexité de ton esprit. [SEVEN] Tu chantonnes, souvent. Norah Jones surtout, parce que sa voix douce correspond à la tienne et que le rythme lent de ses chansons te parle. [EIGHT] T'as une cicatrice sur la paume de la main, comme si t'avais besoin de te souvenir que parfois ta mère t'aime au point de vouloir te tuer et que toi tu l'aimes, parfois au point d'en mourir. Elle est pas très belle parce que tu t'es recousue toute seule, assise sur le rebord de la baignoire.[NINE] Tu repère les crises à l'odeur qui règne dans l'appartement quand tu rentres le soir. Ca pue la merde, mais pas littéralement. La folie de ta mère sent la cigarette froide et l'alcool bon marché. Ses phases de lucidité sentent le café et le gâteau au chocolat. Ta vie est un putain de rollercoaster. [TEN] T'as l'impression que ta vie, la vraie, a commencé quand t'avais quinze ans, à la naissance de Trevor, ton petit frère. Tu te rappelles plus vraiment comment c'était avant, tu sais juste que c'était solitaire et morne. C'est pour lui que tu te lèves chaque matin. C'est pour lui aussi que tu peines à fermer l'oeil chaque soir. T'as peur que ta mère le bousille comme elle t'as bousillé toi. [ELEVEN] Tu postes tes propres poèmes sur Instagram sous un pseudo: Ashtray. T'aimes le jeu de mot avec ton prénom et l'idée de pouvoir un jour renaître de tes cendres.