Tu meurs de chaud. Tu jettes un œil autour de toi : de nombreuses familles viennent profiter de l'air frais et climatisé du starbucks coffee pour prendre une pause bien mérité, les bras emplis de sachets recelant bien des trésors, se débattant férocement avec leurs monstres d'enfants. L'une d'elle s'approche de ta table, te regarde, les yeux larmoyants de la crise qu'elle vient de faire, se jetant au sol pour y hurler toute sa colère. Un peu plus et tu croirais qu'elle te fait du gringue. Elle te sourit, mimique au demeurant charmant, sourire auquel tu réponds par une grimace destinée à l'amuser : réussite, elle hurle de rire après avoir passé sa matinée à pleurer. Les parents te jettent un regard empli de toute leur reconnaissance. Ton cœur palpite au rythme de la vie, et tu n'as de cesse d'admirer la chaleur de l'animation que recèle cet endroit. Un café, c'est un carrefour des âmes. Tu soupires, cependant, quand tu retrouves la vibration écœurante de ton smartphone abhorré. Il t'échappe. S'il touche sa gratte comme un divin maestro du rock des années sixties, il t'échappe. Il prend l'air, s'envole, vagabonde dans l'univers. Tu n'as nulle prise sur un aigle sauvage, toi, le chiot amusé. A peine répond-t-il à des rendez-vous, à peine a-il fait l'honneur de sa présence cinq pauvres minutes en ta compagnie dans ce café, pour te fourrer au visage qu'il a un vrai travail, lui, et que la musique ça rapporte pas assez. Quid de la passion ? Déjà le caractère d'une diva, et même pas encore une star. Tu soupires de cet échec, que, tu le sais, tu oublieras bien vite au profit d'une nouvelle éphémère. Tu bois une gorgée de ton café brûlant qui s’immisce dans ta chair et réveille tes sens. Douceur amère.

Tu ne rêves pas, c'est bien elle qui franchit la porte d'entrée et illumine l'air de sa tignasse blonde dorée. Son sourire ravageur envahit l'espace quand sa simple présence te fait oublier l'échec de la matinée. Elle est ce rayon de soleil qui enflamme ton âme, cette main maternelle qui panse tes plaies et valorise tes succès, cette sœur qui t'offre sur plateau d'argent des conseils à foison dont tu te sers allègrement. Elle a cette maturité dont tu es exempt. Tu ne t'imaginais simplement pas qu'elle amènerait avec elle une crêpe au nutella douée d'une vie propre, désireuse de te serrer dans ses doux bras sucrés. Tu n'as que le temps de baisser la tête pour constater la trace marronnasse laissée sur ton tee-shirt couleur pureté. C'est un rire qui remonte dans ta gorge, un rire qui se déploie dans la salle, un rire qui flamboie comme crépite un feu de bois. Tu envahis l'espace de ce rire gamin et enfantin qui est le tien. Quand elle te propose de te payer le nettoyage, ton rire s'amplifie, rebondit, puis s'évanouit quelque part dans l'espace. “ Ca va pas, non ?! “ lâches-tu entre deux crises de nerf. Ton rire se joint à celui des voyeurs qui se moquent, à celui des clients du starbuck. Sa gêne t'amuse, mais c'est aussi elle qui t'enjoint à calmer tes ardeurs.  “ Y'a pas de souci, c'était qu'un tee-shirt blanc   “ Tu lui souris, d'un sourire enjôleur qui calmera ses peurs.  “ Qu'est-ce que tu racontes de beau ? voir, de moins beau ?  “ tu t'enquis d'elle.

Elle est belle, alexis, de cette beauté énergique et solaire qui envahit l'espace de son sourire qui a tout pour plaire. Pourtant, jamais tu n'as éprouvé d'autres sentiments que la douceur qui vous entraîne. Tu ignores pourquoi, mais envisager de l'embrasser te bloque la gorge d'une boule d'inceste. Grande sœur délicate, elle est une fleur que tu ne souhaites pas cueillir, de peur de la faner ; une fleur qui embaume ton air d'une vague odeur de délices, qui doit garder sa liberté. Elle sourit, tire sa révérence, l'air fière de son exploit, et son sourire agrandit celui qui tire tes traits, les rajeunit. Elle est un rayon de soleil qui illumine l'endroit, une torche flamboyante qui brillerait dans la plus effrayante des obscurités, elle te montre le chemin, te guide, te prend la main pour t’entraîner avec elle dans les méandres mystiques de la maturité. T'as jamais connu ça, toi, quand tu te perds dans les limbes de ta jeunesse éternelle, quand tu exposes tes talents de peter pan. T'es un gamin, au fond de l'âme, et jusqu'aux rides de ton visage.

 “ Un scandale pour ça ?   “ t'as le visage qui se transforme. Tu ne feins pas, tu ne comprends vraiment pas les réactions des gens normaux, quand toi tu t'extasies d'un rien. T'imagines un instant le père de famille, quadragénaire, celui que t'auras pu - du ? être dans une vie antérieure, hurlant sur une alexis contrite qu'il va payer une fortune chez le pressing. Toi, tu jettes un œil amusé sur la tâche que forme le nutella toujours dégoulinant de sa graisse délicieuse, et tu cherches, comme dans les nuages, à y distinguer une forme. Un chat sans sa queue ? Un dragon qu'a plus de feu ? Tu souris de plus belle.  “ Plutôt un dragon ou un chaton ?   “ tu lui lances, l'amusement perçant dans ta voix carillonnante. Elle te parle de sa vie, sans détails, sans chichi, tu l'écoutes avidement, laisses percer ton étonnement. Tu ne sais que peu de choses sur cette femme, mais ce dont tu es sur, c'est que c'est une perle dans un monde obscur. Elle lui parle de musique, ton regard s'illumine à cette simple évocation. Tu meurs de n'être plus sur la scène, alors l'idée de rejouer pour quelqu'un, même un si petit public, te contenterait facilement. “ Mais avec plaisir, quand tu veux Alex ! “ T'es tout content, c'est à peine si tu taperais pas dans tes mains de ravissement. Tu t'abstiens, te rappelle que t'as trente-et-un ans et passé l'âge des jeux d'enfants. Mais ton regard brille toujours de cette liesse enfantine, qu'elle doit certainement bien connaître pour côtoyer les gamins au quotidien. Parfois, tu te dis que tu dois la fatiguer, et qu'elle doit se revoir au boulot quand elle est à tes côtés. Tu soupires, et cette vague idée déprimante te passe aussi sec. Tant pis, tu ne changeras plus. “ Ouaiiis, une glace au m&m's steplait. “  Tu lui demandes, tout gentiment. Tu l'ignorais, mais c'est vrai que maintenant t'as faim. Alors tu la regardes s'éloigner pour commander, quand tu stagnes sur ta chaise patiemment.  A peine est-elle revenue que tu l'assailles de question. “ Merci merci merci, c'est top bon ! Alors, tes enfants t'ont encore fais des folies cette semaine ? T'as encore cassé un truc ? T'as lu, j'aimerais bien qu'on me conseille de nouveaux livres ?! “ Tu t'arrêtes plus, ta voix apaisante sort en flot continu, berce le monde et fait du starbucks un véritable lieu de vie.

Elle te fait rire, Alexis, toujours. Parfois à ses dépens, sa maladresse la précède, mais souvent parce qu'elle le souhaite. Elle a ce franc-parler amusant, ces défauts très touchants, elle est une femme qui assume sa part d'ombre et qui brûle sa part de lumière. Elle ne lésine pas sur les moyens : elle est toujours au petit soin pour le gamin que t'es, à distiller ci et là ses bons savoirs. A moitié sœur, à moitié mère, elle t'es devenue indispensable. D'ailleurs, quand elle te parle de new-york, ça t'étonne. S'il y a bien une chose qui demeure silencieuse entre le brouhaha de vos voix, c'est bien vos vies d'avant, celles qui précèdent le présent. Tu ne lui parles que très peu de tes heures de gloire, elle t'évoque rarement la vie dans la grande pomme. Donnant-donnant, perdant-perdant. Vous taisez ce qui vous trouble, vous laissez sous silence les zones d'ombres qui vous sont propres, et tout est bien ainsi, quand vous respectez l'un et l'autre vos secrets mutuels. “ Si, bien sur que j'y suis allé. “ tu dis sans entrer dans les détails. Et cette simple évocation te fait tourner la tête jusqu'à te ramener des années en arrière, quand t'avais nico et le monde à tes pieds. Tu brillais, toi, tu brillais d'une flamme qui ne semblait pas prête de s'éteindre, t'attisait les flammes de ton destin, tu préchauffais le lit pour elle et tu dansais sous la lumière. T'avais la vie devant toi. T'y es allé, à new york, mais t'es guère sorti de ta chambre d'hôtel fournie par les sponsors de ta tournée. Alors, tu ne dis pas un mot de plus, tu t'enfermes dans tes souvenirs, et il faut qu'elle enchaîne pour que t'en sortes, hébété, troublé. Un requin. Tu baisses les yeux vers la trace qui orne ton tee-shirt, oui, dans son sens, un requin ça le fait bien. Tu lui souris, ça te suffit, et puis t'oublies.

Quand elle t'invite dans sa classe, t'as les yeux qui brillent. Ça fait des mois que tu gardes ta musique cachée rien que pour toi, ou que tu la déverses dans les oreilles apprêtées d'une lighea esseulée. Alors ça te rend toute chose, la perspective de jouer à nouveau devant une foule, quelque soit l'âge moyen de ceux qui te dévorent des yeux. Tant que t'as du monde à tes pieds, t'es satisfait. Alors t’acquiesces, avec dans le regard ce je-ne-sais-quoi de complètement gamin, la larme au coin de l’œil comme si on te déversait dans la bouche un paquet entier de bonbons qui piquent. “ Mais ouais grave, ça m'ferait trop plaisir. “ Les enfants t'ont jamais inquiété, t'as fais d'eux ton alliée, avec ta mine réjouie et tes canines qui sourient. Ce qui t'angoisse d'avance, c'est plutôt leur jugement. T'as toujours eu peur de faire un flop, que tes talents se soient enfouis sous un océan de médiocrité. T'es prêt à prendre le risque. “ En plus j'suis sure que t'as plein de petits musiciens, peut-être que je pourrais réveiller en eux la flamme qui m'anime. “ T'es vraiment un gamin, avec le ton qui va avec. Tu manges ta glace m&m's et tu t'éclates, tu sens les morceaux de cacahouètes fondre sous la pression de tes dents, ça te titille sous la langue, tu couinerais de plaisir si t'avais pas un minimum de décence au fond du ventre.

L'amour qu'elle a pour son métier te fait aucun doute, ça se voit rien qu'à la lueur qui s'allume au fond de son iris quand elle en parle. Si tu ne doutes pas que parfois, elle en perde la tête,  tu te dis que c'est un bien maigre lot face au bonheur qu'elle trouve en leur douce compagnie. C'est totalement ce genre de fille qui peut t'apprécier à ta juste valeur, celles qui trouvent leur bonheur en compagnie des petits. “ Y'en a déjà qui t'ont appelé maman ? “ Ça t'intéresse vraiment, t'as la curiosité des autres, mais surtout la curiosité du monde. Tes questions peuvent sembler anodines, mais elles trouvent toujours en toi un écho. “ Mais si, j'aime bien certains romans d'amours, j'suis un petit romantique au fond de l'âme. Alors, quels sont les livres qui occupent tes nuits d'insomnies ? “ Tu souris, comme pour démentir ce que tu viens de dire. Elle ne sait rien de tes histoires de coeur, ni passé ni présentes, mais pourtant tu penses qu'elle discerne en toi l'âme d'un séducteur. Ce que tu n'es pas, ni un peu ni beaucoup. T'as pas l'âme des coureurs, t'as déjà su trouver l'amour que t'as laissé filer, poignard fiché en plein cœur et trahison à digérer. Pourtant, t'y crois toujours à ce bonheur, à ce petit coin de paradis, à cette douceur en duo, t'y crois toujours au fond de toi, t'as le palpitant qui s'agite quand tu penses à elle et parfois tu te dis même que tu serais prêt à franchir à nouveau le pas. T'hésites, tu doutes, t'avances pas à pas.

Elle éclate d'un rire cristallin qui t'éloigne de tes pensées. Un instant, tu la crois folle, puis comme si c'était une évidence, tu la rejoins dans son fou rire avant même qu'elle ne t'explique. T'es comme ça, toi, sensible au rire qui s'communique. Quand elle te montre ton visage dans un miroir, ton rire s'amplifie encore, et vous explosez dans le silence cathédral de ce café minéral. “ Oh comment je suis trop beau ! “ tu dis, te passant la main dans les cheveux, comme pour recoiffer la tignasse que tu portes toujours en lambeaux. Tu te dotes d'un égo que tu n'as pas, juste histoire de poursuivre dans ce fou rire qui te fait vibrer. Tu avances ta main, comme pour t'emparer de son miroir, et d'une feinte rapide, tu poses ta glace sur le bout de son nez fin. Vous êtes deux, maintenant. Alter-ego de glace au nez. “ t'es aussi belle que moi, maintenant ! “ dis-tu un peu trop fort, ce rictus enfantin qui déforme la douceur de ton visage. Elle est géniale, cette alexis, parce qu'elle ne se moque jamais de tes folies : elle les apprécie, les savoure, elle s'en empare et les modèle pour en faire de vrais moments d'intimité que vous partagez en toute sérénité.

Tu te demandes déjà les morceaux que tu vas jouer devant sa classe. Tu te vois, sourire rayonnant fiché sur le visage, assis sur une chaise ou debout devant ces bouilles de petit bambin qui feront fondre ton cœur gamin, tu te vois ta gibson entre les doigts, et inconsciemment, tu tapotes de ta main sur la table l'air que tu envisages pour cette forme de sortie scolaire. Ça te ferait du bien, de pouvoir à nouveau partager cette passion qui t'anime, cette flamme qui fait vibrer ton petit palpitant sauvageon. Tu imagines comme si c'était là, juste en face de toi, les yeux ébahis de ces petites créatures apprenant l'art, autrement dit la vie. Alexis te confirme que, sans doute parmi eux, se cachent de vrais graines de génie, des graines qui n'attendent qu'un peu de ton eau pour s'émouvoir et s'épanouir. Tu lances des jeunes talents depuis quelques temps maintenant, mais tu ne te lasses pas de voir la lueur qui flamboie dans leurs prunelles, tu ne te fatigues pas de les amener dans ta lumière. Tu as toujours appris des autres.

Alexis te répond : oui, on l'a déjà appelé maman. Alors que tu vois une ombre percer dans son regard, tu ne t'interroges pas plus que ça. Jamais tu n'as envisagé le passé de la belle blonde qui te fait face, et tu n'espères jamais avoir à le faire, t'aurais l'impression de violer un peu de sa part d'intimité, cette part qu'on a tous au fond de nous et qu'on ne veut pas voir divulguer. Tu songes au tien, de passé, à Nico, à tes douleurs, à ses tourments que t'as laissé loin derrière toi et qu'il ne faut pas déterrer. Alors tu ne t'interroges pas, tu laisses simplement cette ombre fuir naturellement de ses yeux à mesure qu'elle parle de ses bambins qu'elle idolâtre. “ ça roule je le lirais, merci, mais j'te promets rien pour les râleries. “ Tu lui tires la langue, en bon gamin immature que tu es la plupart du temps. “ oui, j'aurais bien aimé bosser avec les enfants aussi, mais je crois bien que je suis beaucoup trop taquin pour ça. Y aurait pas d'adulte, ça risquerait d'être dangereux. “ Tu souris, à nouveau, de ce sourire qui illumine ton visage de grand dans lequel on discerne néanmoins des traits beaucoup trop mutins. Trente-et-un ans de pure folie. Et quand Alexis rit elle aussi à ta petite farce glacée, tu glousses de plus belle, vous illuminez le café de vos délires enchantés. Vous êtes des lutins perdus au milieu des hommes, ces êtres monstrueux capables des pires atrocités, et vous n'avez rien de commun avec cette masse intéressée. Vos différences vous rapprochent.

Elle se jette à tes côtés pour enregistrer un cliché volé sur son smartphone. Ça te fait rire, encore et de plus belle, et le bonheur qui résonne dans ton hilarité ne ment pas, ne trahit pas, il sent simplement cette sincérité qui est toute à toi et que tu chéris comme les cordes de ta gibson. Elle te montre la photo, et elle détonne dans la différence qui vous unit et vous ravit.  “ waaaaw, comment j'suis un beau gosse ! “ tu t'esclaffes, l'oeil taquin. “ bon ok,  t'es pas mal non plus, sacrée blonde ! “ tu poursuis avec toute la sincérité qui tapisse le fond de ton palpitant. Tu termines cette fameuse glace qui commence à rendre son dernier souffle et fond sur tes doigts goutte après goutte. “ manque juste l'émoticone glace et l'émoticone mort de rire, comme nous depuis tout à l'heure. “ T'as l'oeil investigateur.